vendredi 27 septembre 2013

Les Pigeonniers de Charente Maritime : une architecture symbolique



Pigeonnier Renaissance de l'Abbaye de Montierneuf, Saint-Agnant (Charente-Maritime).




La fuie ronde d'Aulnay-de-Saintonge.


Les boulins de la fuie d'Aulnay-de-Saintonge.

 
Le pigeonnier (1595) du Logis de Beaulieu à Germignac. Il possède une cave et une lucarne Renaissance très ouvragée.

Pigeonnier du Château de Villeneuve-la-Comtesse. Carré, il pourrait remonter au XIVème siècle car les pigeonniers sont ronds à la fin du XVème siècle en Saintonge.


L'architecture nourrit périodiquement nos rêves. De temps à autres, les peuples se jettent dans des engouements fugitifs ou durables, où la mode, le décor de la vie, les idées, les imaginations trouvent dans le patrimoine une place à part, car, pour un grand nombre d'entre nous, si la réalité ne correspond plus à l'image, c'est la réalité qui a tort !...C'est aussi cela le paradoxe des pigeonniers : laissant de côté les couleurs trop flatteuses comme les ombres poussées, ils donnent enfin une image fidèle de la réalité socio-économique de l'histoire d'une région.
La fonction primordiale du pigeonnier (également appelé fuie ou fuye) est utilitaire (nourriture et réceptacle à colombines), mais dès son avènement il eut valeur de symbole : symbole du pouvoir et de la suzeraineté avant la Révolution, symbole de la liberté acquise après 1789. Le morcellement des terres seigneuriales et des propriétés conventuelles donna naissance à une théorie de pigeonniers de conceptions différentes quant à l'utilisation des matériaux et à leur modénature. Cela livre de précieux enseignements sur l'esprit social de l'époque.
Aujourd'hui, les pigeonniers ont perdu leur utilité au profit de leur fonction de mémoire. Fichés au milieu d'un labour ou cachés à l'ombre des chênes, ils montent la garde, silhouettes transitoires entre un passé définitivement aboli et un futur qui ne saurait être serein sans se référer à ses racines. Le temps, en les érodant, loin de les humilier, leur a plutôt conféré une certaine majesté. Et, devant l'affaissement de tel ou tel, on éprouve une étrange sensation de mélancolie et d'angoisse - celle qui naît des dessins de Piranèse ; derrière ces noirs écroulements quelque chose vit et nous guette : l'avenir.
Les pigeonniers appartiennent à un type d'oeuvre basé sur la symbolique de la liberté et le fantasme du pouvoir. Ils sont l'emblème de l'ascension des hommes et de leur propre vertige. Cependant, ils restent dans la grande tradition, et cela se vérifie du seul point de vue des volumes internes. Matériellement il existe un module de base, ne serait-ce qu'au niveau des boulins et des proportions des ouvertures en fonction de l'importance des pigeonniers. Idéologiquement, qu'ils datent du XVIème, des XVIIème, XVIIIème ou XIXème siècles, ces édifices représentent la noblesse et, après la Révolution, l'accession à la propriété, l'audace, le vertige d'une certaine liberté. Ainsi cette composition basée sur la répétition, se rencontre dans tout l'architecture monumentale. D'où l'intérêt de la retrouver dans les pigeonniers qui sont l'expression d'une architecture locale, vernaculaire et anonyme.
Il en est des fortifiés, des cylindriques, avec échauguettes même. En regard de la magie d'un monde où le matériau s'anime parce qu'il a été frappé comme il se doit, rien n'impose de nous figer en statue de sel qui s'effrite, ni, à l'inverse, d'en tirer seulement un profit de jouisseur. Car tout invite à participer à cette danse des dieux et, par "effet miroir", à capter les forces et les énergies qui s'échappent des oeuvres d'art, pour devenir acteurs et gérants de leur pérennité...Nul ne peut ni ne doit sortir indemne de la lente remontée du temps que la lecture d'un monument provoque. L'émotion qui naît devant un édifice est une alchimie subtile entre la  notion utilitaire et l'esthétique qui s'en dégage. Il n'y a pas de hasard en architecture : tout est utilisé, de la plus lourde technologie aux caprices vertigineux de la lumière, comme dans les cathédrales.
C'est la tâche ardue et magique de l'architecte qui canalise son imaginaire par  les truchements conjugués de la technique et de son savoir-faire. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'architectures mineures, mais l'Architecture ! La lutte contre le temps qu'il engage est un combat singulier dont l'édifice sortira vainqueur, même si le nom du créateur est oublié - qu'importe ! La trace, le répère restent plantés pour les générations futures.
L'architecture est la seule oeuvre humaine qui puisse se mesurer au temps, qui l'apprivoise et transmute son hostilité en faire-valoir.  

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